Droit criminel, Droits et libertés

La peine de mort au Canada : est-ce possible?

La peine de mort au Canada : est-ce possible?

Il n’est pas rare que le sujet de la peine de mort refasse surface dans les médias nationaux et sociaux. De récents sondages tendent même à démontrer qu’une majorité de citoyens canadiens seraient d’accord à ce qu’on la réhabilite et encore plus depuis les révélations troublantes du Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu.
Sur la scène internationale, le sujet revient régulièrement et est une source constante de débats. Alors, la question que nous posons ici n’est peut-être pas si farfelue. Sommes-nous sur le point de restaurer la peine capitale dans notre système de justice pénale?
Afin de traiter de ce sujet difficile, nous aborderons deux sujets de l’actualité juridique récente : l’affaire Stroman et la tuerie d’Oslo.

L’affaire Stroman

Récemment, au Texas, Mark Stroman a été exécuté. L’histoire de ce dernier a été grandement médiatisée et a soulevé les passions.
Son histoire pathétique a commencé le matin du 11 septembre 2001. Alors que tout le monde était consterné en voyant les tours jumelles du World Trade Center s’effondrer, Mark Stroman commençait à bouillonner intérieurement au point de bientôt fomenter un plan diabolique.
Mark Stroman avait 31 ans et était un tailleur de pierre au moment des événements. La mission de Stroman était devenue de venger l’Amérique contre le Moyen-Orient. C’est comme cela que quelques jours après le 11 septembre, Stroman a fait 3 victimes à quelques jours d’intervalle. Deux ont été tuées. L’autre, c’est Rais Bhuiyan. Il a échappé à la mort même si il a été grièvement blessé au visage et il a perdu l’usage d’un œil.
Stroman fût finalement condamné, en avril 2002, à la peine de mort. Commence alors un long couloir de la mort. Après une ultime tentative d’obtenir un délai supplémentaire le lundi 27 juin 2011, Stroman est finalement exécuté le mercredi 29 juin 2011.

La résilience

Le plus incroyable dans cette histoire est que Bhuiyan a réclamé publiquement que Stroman ne soit pas exécuté. Les motivations de Bhuiyan peuvent paraître dérangées pour certains. Toutefois, ce dernier faisait plutôt preuve d’une grande sagesse et de résilience.
Bhuiyan a déclaré que cela faisait partie de son instruction. Sa philosophie était simple, mais noble : « [s]i on te blesse, ne te venge pas. Pardonne. Vis ta vie. Cela ne peut que t’être bénéfique à toi et aux autres. »
Quant à Stroman, son comportement s’était transformé radicalement en 10 ans. Le New York Times l’a rencontré et a pu rapporter l’état d’esprit dans lequel il était peu de temps avant son exécution. Il a dit de sa victime que «  ses croyances islamiques lui [avaient] donné la force de pardonner l’impardonnable » et qu’il trouvait ce geste « véritablement inspirant pour lui et que cela devrait être un exemple pour tous. »
Manifestement, les gestes commis sont criminels et irréparables. De pauvres victimes ne peuvent défendre leur point de vu aujourd’hui. Pour nous, toutefois, la vie continue et de sérieuses questions éthiques se posent lorsque nous analysons l’ensemble des éléments. À plus grande échelle, le cas de la tuerie d’Oslo soulève le même type de questionnements.

Le dilemme de la Norvège

Après un carnage comme celui d’Oslo, il est tout à fait naturel de réagir avec colère et de réprimander les gestes commis. C’est un devoir de manifester sa stupeur et de ne pas demeurer insensible à un tel événement. Il faut toutefois garder la tête froide et ne pas tomber dans une barbarie similaire au geste criminel.

Les accusations possibles

En attendant que l’enquête policière soit complétée, le procureur d’Oslo a récemment affirmé que Anders Breivik, le présumé auteur de la tuerie pourrait être accusé « pour crimes contre l’humanité ». S’il est reconnu coupable d’une telle infraction, Breivik risque 30 ans de prison comme il est prévu au Code pénal norvégien.
L’autre option envisageable est que Breivik soit poursuivi pour « actes de terreur ». Ces infractions sont passibles d’un emprisonnement maximal de 21 ans.

Diminuer la gravité du geste?

Ce n’est pas rendre le geste acceptable que de ne pas exiger la peine la plus sévère que l’espèce humaine puisse infliger à son prochain. Il s’agit même d’une preuve de grande noblesse que de ne pas appliquer la « Loi du talion ».
Khalid Haji Ahmed, qui se trouvait sur l’île d’Utoya lors de la fusillade et qui a perdu son jeune frère lors de celle-ci, a livré de vibrants témoignages à ce sujet. Lors d’une entrevue à la radio de 98.5 FM (extrait dont nous ne trouvons plus l’archive) en répondant à la question de l’animateur s’il souhaitait la peine de mort à Breivik, il a répondu qu’un tel châtiment ne ramènerait pas son frère. Il ajouta qu’il préférait l’emprisonnement à la peine capitale.

La collectivité outrée

Étant donné l’atrocité des gestes commis à Oslo, plusieurs Norvégiens ont réclamé le rétablissement de la peine de mort. Il est évidemment compréhensible et humain que de souhaiter un châtiment juste à la commission d’un crime. Il n’en demeure pas moins qu’il faut être respectueux de ce que nous sommes et voulons être en tant que société. Accepter la peine capitale dans notre société, c’est en porter l’entière et la fatale responsabilité.

Pourrait-on réhabiliter la peine de mort au Canada?

Qu’en est-il de nous? Le premier ministre Stephen Harper a récemment déclaré qu’il trouvait « appropriée » la peine de mort dans « certains cas ». Il avait toutefois spécifié à ce moment que cela ne devait pas se produire dans le « prochain Parlement », c’est-à-dire le présent mandat majoritaire des Conservateurs. Serions-nous alors épargnés d’une telle modification à notre système de justice criminel?

L’argument économique

Une telle modification serait d’abord extrêmement coûteuse. L’argument économique pourrait jouer grandement dans la balance. Il faut bien sûr penser aux infrastructures, mais à la complexité intrinsèque d’une affaire de ce genre. Il en coûte 184 millions par année à l’État de la Californie ou 308 millions pour 13 exécutions (Los Angeles Times). À titre comparaison, les dépenses totales de Service Correctionnel du Canada est d’environ 2.8 milliards par année.

Traitements ou peines cruels et inusités

Dans la Charte canadienne, il existe une protection contre toute peine cruelle et inusitée pour les infractions commises au Canada. Depuis son adoption, la Cour suprême du Canada n’a pas clairement pris position sur le fait que la peine de mort soit considérée comme une peine cruelle et inusitée.
Toutefois, dans Etats-Unis c. Burns, elle émet de sérieuses mises en garde dans l’éventualité qu’elle soit autorisée par le Parlement canadien en soulignant que « [s]on infliction a été qualifiée d’arbitraire. Sa valeur dissuasive est mise en doute. Son exécution cause nécessairement des souffrances physiques et psychologiques. »

Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité

D’autres principes juridiques nous permettant de mieux comprendre la problématique de la peine de mort sont principalement ceux de l’article 7 de la Charte canadienne. Cet article protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Ces droits sont si importants que l’État ne peut y porter atteint qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Selon la Cour suprême, le problème réside en partie dans le fait que malgré la tenue de procès entièrement équitable il demeurera toujours le spectre et la possibilité qu’une erreur judiciaire se produise. La faillibilité du système de justice demeurera toujours même dans les cas les plus flagrants.
Ainsi, advenant une erreur judiciaire, il serait tout à fait impossible de réparer le châtiment déjà infligé. Le risque d’erreur judiciaire rend à lui seul extrêmement difficile la validité constitutionnelle de la peine capitale au Canada.

La validité constitutionnelle

La plupart des constitutionnalistes et auteurs criminalistes s’entendent sur le fait qu’il est peu probable et difficile d’imaginer qu’on rétablisse la peine de mort à cause de ses barrières constitutionnelles[1].
Le fait que la Cour suprême avait déjà jugée unanimement qu’il serait inconstitutionnel d’extrader un ressortissant étranger vers un pays où il est passible de la peine de mort sans demander de garantie que la peine capitale ne sera pas appliquée milite grandement pour cela.

Notre avis

Déterminer que l’on puisse enlever la vie à un autre être humain comporte différents pôles qu’il nous faut à tout prix considérer. Même si le geste commis par l’accusé est d’une cruauté immonde, on ne peut pas justifier qu’une personne ne puisse pas bénéficier d’un droit fondamental.
Bref, rétablir la peine de mort, ce serait créer une nouvelle catégorie d’individu ne pouvant pas bénéficier au droit à la vie. Ceci serait totalement aller à l’encontre des principes de justice fondamentale que notre État doit à tout prix respecter.  Mais surtout compte tenu qu’il existe un risque d’erreur judiciaire que nous ne pouvons jamais exclure.

Peine de mort au Canada, son histoire

La peine de mort n’est plus en vigueur pour les infractions commises au Canada depuis le 14 juillet 1976. En 1987, 127 contre 148 députés de la Chambre des communes ont voté pour le rétablissement de la peine de mort. Officiellement, 1481 personnes ont été condamnées à mort et 710, dont 697 hommes et 13 femmes ont effectivement été exécutés de 1867 à 1962 (source ici).
La dernière exécution au Canada remonte à 1962. Elle a été effectuée à Toronto en Ontario le 11 décembre alors que deux hommes, Arthur Lucas et Robert Turpin, ont été pendus. Ces derniers avaient été reconnus coupables du meurtre d’un agent double de Détroit enquêtant sur le trafic des narcotiques.

Les traités internationaux

Le Canada a signé et ratifié un traité international prévoyant l’abolition de la peine de mort. Deuxième protocole facultatif se rapportant au PDCP visant à abolir la peine de mort qui se voulait à compléter un autre protocole sur les droits civils et politiques. Il engage l’État « à n’exécuter personne relevant de leur juridiction » et «  à prendre toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de leur juridiction ».
Le Canada n’a toutefois pas accepté de signer le traité de l’Organisation des État Américains visant également l’abolition de la peine de mort, c’est-à-dire le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant de l’abolition de la peine de mort.
Il est important de rappeler que le Canada est un pays dualiste. Ainsi, le droit international ne vaut pas systématiquement droit interne.

La peine de mort dans le monde

En Chine, Amnesty International a recensé 16 600 exécutions à mort de 1990 à 1998. La Chine demeure encore aujourd’hui l’endroit dans le monde où l’on exerce toujours le plus d’exécutions. Toutefois, il est difficile d’étayer quel est le véritable nombre d’exécutions en Chine étant le manque de transparence du gouvernement chinois.
Depuis la reprise des exécutions en 1976 aux États-Unis, il y a eu 1264 exécutions, dont 30 en 2011. Parmi les États américains qui pratiquent toujours la peine de mort, il y a : la Californie, le Colorado, la Floride, le Texas, Washington, etc.
Il y a aujourd’hui 56 pays qui pratiquent réellement la peine de mort. Parmi ces pays il y a aussi l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, l’Inde, l’Égypte, l’Irak, l’Iran, la Jamaïque, le Japon, le Liban, la Palestine, la Taiwan, la Thaïlande, etc.
N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires. Il est toujours instructif d’entretenir le débat sur des questions aussi fondamentales!
N.-B. Les sources sont pour la plupart en lien hypertexte. Merci de nous aviser si un lien est rompu.

Troy Davis… mort le 21 septembre 2011 au Texas

Certains diront ceci :Plus d’une douzaine de Cours ont examiné le dossier et ont refusé de casser la condamnation alors que d’autres: « Il est aussi innocent que n’importe quel homme exécuté depuis les années 50 au moins, c’est-à-dire, aussi coupable qu’il est possible de l’être. »
Pourtant, l’accusé Troy Davis a clamé  son innocence jusqu’au dernier moment et a demandé de nombreuses organisations dont Amnesty International de s’opposer  à son exécution.

[1] Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 17e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2011
N.-B. Les sources sont pour la plupart en lien hypertexte. Merci de nous aviser si un lien est rompu.

 

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0 thoughts on “La peine de mort au Canada : est-ce possible?

  1. Ianik Marcil dit :

    Merci pour ce document éclairant, étoffé et « pédagogique » (au sens noble du terme).
    Je me permets d’ajouter que la question de la peine de mort est, à mon sens, d’abord et avant tout (sinon uniquement) une question éthique, qui renvoie chacun d’entre nous à sa propre moralité.
    J’ai commis récemment un petit texte inspiré par la tragique histoire de Stroman dont vous parlez: http://ianikmarcil.com/2011/07/21/ne-pas-voir-le-mal-en-nous/
    Encore, merci!
    Ianik Marcil

  2. Troy Davis a t’il été victime d’une erreur judiciaire tellement il y avait des faiblesses dans le dossier (aucune trace d’adn ni l’arme du crime n’ont été retrouvé) Neuf témoignages sur 9 il y a en 7 qui se sont rétractés et monsieur Davis a toujours nié avoir commis l’infraction. Il parait que les délibérations du jury n’ont duré que deux heures.

  3. Mary Mai dit :

    Je dois admettre avoir été surprise en lisant le dernier commentaire. Que la propagande ait bien fonctionné pour Troy Davis auprès des gens ordinaires c’est une chose, mais venant d’avocats.. ça, ce fut une vraie surprise. Saviez-vous que tous TOUS les condamnés à mort se proclament innocents? Il est, vous en conviendrez, très difficile d’aller en appel lorsque l’on admet son crime…Avez-vous lu les documents légaux et les transcripts de cour avant de vous faire une idée sur la culpabilité ou l’innocence de Troy Davis ?
    Savez-vous pourquoi la cour suprême a refusé les fameuses récantations?
    Je crois qu’avant d’émettre un oppinion sur la culpabilité ou l’innocence de quelqu’un, il est plus que sage de connaitre les VRAIS faits, et non pas la propagande des opposants à la peine de mort.
    Bien que leur cause semble noble a priori, travestir les faits pour gagner une cause est abjecte.
    Une petite lecture aidante :
    http://law.ga.gov/00/press/detail/0,2668,87670814_87670929_121231342,00.html
    http://www.cjlf.org/files/DavisExcerpt.html
    http://www.crimeandconsequences.com/cgi-bin/mt/mt-search.cgi?search=troy+davis&IncludeBlogs=1&limit=20

    1. Merci d’avoir partagé toutes ces précisions. Très utile. Salutations

  4. Robillard dit :

    Les commentaires sur les effet dissuasifs de la peine de mort me semble biaiser depuis toujours .la peine de mort depuis toujours fut d éliminer les sources de mal dans une société .ceci dit des rumeurs qui semble fondé tendent à prouver que les USA ont acheter un stock de guillotines qui furent éparpiller dans les camps fema,les bases militaires et au Canada.
    Quesqu’y nous attend dans l avenir si nos gouvernement font des stock de guillotine pour éliminer leur opposant .