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Ordonnance de non-publication dans l’affaire Magnotta

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Pour invoquer l’article 16 comme moyen de défense, tout comme l’avait fait Guy Turcotte, l’accusé doit non seulement démontrer qu’il était affecté de troubles mentaux, mais aussi que ceux-ci l’empêchaient de juger de la nature et de la qualité de l’acte comme étant mauvais, ou mal.  Cette preuve se fait à l’aide d’une ou plusieurs expertises.

Est-ce que Luka Rocco Magnotta utilisera ce moyen de défense s’il est cité à son procès ? Les probabilités sont très élevées.

Renversement de fardeau

Tout d’abord, première chose qu’on remarque, c’est qu’il y a un renversement de fardeau, c’est-à-dire que c’est à l’accusé de prouver qu’il est atteint d’aliénation mentale, et non à la Couronne de prouver qu’il est sain d’esprit.

Ce renversement de fardeau est quelque chose qu’on ne voit pas souvent en droit criminel, parce que ça va à l’encontre de la présomption d’innocence.

L’individu doit prouver quelque chose pour se défendre, alors qu’il est présumé innocent.

Mais l’atteinte à la charte est justifiée selon la Cour suprême.

Même si depuis l’affaire Turcotte, l’article 16 du Code criminel est le plus détesté du Code criminel, il est utile et nécessaire. On peut être outré que Guy Turcotte soit en liberté, mais je vous rappelle qu’on devrait être tout autant outré, sinon plus, si cet article n’existait pas.

Cela reviendrait à dire qu’on a pu besoin d’avoir toute sa tête pour être condamné et aller en prison.

Cela reviendrait à envoyer au même endroit les gens atteints de maladie mentale grave et ceux qui décident de faire un crime en toute connaissance de cause.

Il faut que les personnes atteintes de troubles mentaux soient jugées différemment, pour qu’on puisse protéger la société, mais de façon juste.

 Ordonnance de non-publication

Règle générale: les procès, au Canada, sont publics.

C’est afin d’assurer la transparence du système judiciaire. On croit que plus un débat est public, plus il y a de chances que justice soit rendue.

Et c’est normal, il est évident qu’on limite les abus de pouvoir quand on laisse la population entrer dans la salle et entendre ce qui se dit, surtout à l’aide des journalistes qui font un travail de « chien de garde du système judiciaire » de façon remarquable.

En droit familial, on voit beaucoup plus souvent le huis clos et la non-publication, souvent les noms des parties sont gardés secrets, on se souvient de l’affaire Eric et Lola, par exemple.

Mais en droit criminel, c’est l’inverse.

  • La règle, c’est la publicité.
  • L’exception, c’est la non-publication.
  • Et l’exception ultime, c’est le huis clos.

Le juge peut ordonner le huis clos quand il est dans l’intérêt de la moralité publique, du maintien de 

Dans l’affaire Magnotta, bien que la défense ait exprimé le désir du huis clos, il était clair que la juge allait s’en tenir à une ordonnance de non-publication. C’est le genre d’ordonnance qui a fait ses preuves et qui fonctionne bien généralement.l’ordre ou de la bonne administration de la justice.

Quand je dis qu’elle « fonctionne », c’est que son but ultime, c’est qu’un éventuel jury ne soit pas contaminé. Le jury n’assiste pas à l’enquête préliminaire.

Au procès, tout ce qui lui est présenté, c’est la preuve qui, préalablement, a été déclarée admissible par le juge.

Peu de règles encadrent ce que le jury peut entendre ou non.

Ce ne sont pas des juristes, ce sont des humains avant tout, qui entendent des choses et qui doivent prendre une décision relatives à ce qu’ils entendent.

C’est dur de leur dire : ne tenez pas compte de tel ou tel élément pour prendre votre décision, vous n’auriez pas dû l’entendre.
C’est aussi dangereux de fonctionner ainsi.

Il est donc fait en sorte qu’ils n’entendent que ce que l’on veut qu’ils entendent, c’est l’ordonnance de non-publication au moment de l’enquête préliminaire.

On parle de  ne pas « contaminer le jury ».

Des conditions de procès en contradiction avec la personnalité de l’accusé.

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photo:Police de berlin

Magnotta est dépeint comme quelqu’un ayant une personnalité narcissique.

Il a toujours voulu de l’attention, de toutes les manières possibles. Il veut être vu, il veut qu’on parle de lui.

Ce qui est étonnant, c’est sa demande de huis clos pour l’enquête préliminaire qui va un peu à l’encontre de cette personnalité.

Il doit donc avoir certaines informations qu’il ne désire vraiment pas que la population sache. Ou c’est peut-être aussi simplement un moyen d’attirer davantage la curiosité des gens.

Une chose est certaine, c’est une demande qui est loin d’être fréquente.

Huit clos au service de la justice?

Le juge devait donc déterminer si la justice allait être mieux servie avec un huis clos. C’est un fardeau qui était très difficile à atteindre pour l’avocat de la défense, mais on ne connaît pas ses motifs puisqu’il y a un interdit de publication.

Les avocats des médias se sont battus pour empêcher le huis clos.

Une ordonnance de non-publication était déjà en vigueur.

Normalement, une telle ordonnance fait très bien le travail. On accepte que les journalistes soient présents dans la salle, mais ils n’ont pas le droit de rapporter dans les médias ce qui s’est dit avant que l’ordonnance ne soit levée.

C’est pour s’assurer que l’équité du procès n’est pas entachée.

Par exemple, des détails importants pourraient être publiés sur internet, et par la suite, un jury pourrait être contaminé par ce qu’il a lu ou vu ou entendu.
Il pourrait donc penser que Magnotta est coupable avant d’avoir entendu la preuve du procès, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de notre système de justice.

Que reste-t-il aux médias?

Les médias au tribunalLa non publication réduit considérablement ce qui pourra être dit et publié  à propos de l’enquête préliminaire.

Les médias parlent généralement de l’attitude de l’accusé et des autres témoins, s’il se passe quelque chose de spécial à l’extérieur de la salle, etc. Mais rien de ce qui se dit devant le juge.

Voyez le texte que j’avais écrit pour le Journal de Montréal :
Parmi tous les outils que procure le Code criminel aux accusés afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière, l’enquête préliminaire est probablement l’un des préférés des avocats criminalistes.

Il s’agit d’une étape facultative réservée aux crimes les plus graves. Bien qu’en théorie, l’enquête préliminaire sert à permettre au juge de décider si la preuve est suffisante pour tenir un procès plus tard, tous les avocats qui travaillent en droit criminel savent que c’est surtout l’opportunité rêvée pour l’accusé de « tester » la preuve de la poursuite.

Les principaux témoins que la poursuite fera entendre au procès viennent y témoigner une première fois. C’est comme un procès avant le procès, une pratique. Il est alors possible pour l’accusé d’avoir une bonne idée des failles et des points forts dans la preuve. Aussi, le fait de témoigner deux fois accentue le risque de se contredire, ce qui peut affecter la crédibilité des témoins.

Puisque Luka Magnotta risque évidemment la prison à vie pour le crime dont on l’accuse, il n’est pas étonnant qu’il utilise tous les outils auxquels il a droit pour se défendre.

Pour ce qui est de l’affaire Magnotta  elle-même, je vous suggère l’article de Wikipédia, très complet :

Définitions utiles pour la compréhension de l’article

article 16 du Code criminel. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

Présomption(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.

Charge de la preuve(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.

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