Par : Me Julie Couture | Publié le : 6 octobre 2020
Que se passe-t-il quand la liberté d’expression d’un auteur de fiction est menacée et qu’on traîne celui-ci en justice pour la nature de son œuvre? Comment déterminer la fine ligne qui sépare la fiction du matériel pornographique illégal? On a assisté à une histoire peu commune à ce sujet depuis mars 2019, au Québec. Retour sur un cas difficile.
Récemment : un acquittement
Tout récemment dans l’actualité, l’auteur Yvan Godbout et son éditeur ont été acquittés en Cour supérieure d’accusations de production de pornographie juvénile. La plainte à la police venait à l’origine d’une citoyenne. La poursuite avait choisi de porter des accusations relatives à certains passages du roman d’horreur Hansel et Gretel, de M. Godbout. L’œuvre en question fait partie d’une série à auteurs multiples intitulée « Les contes interdits ». Il s’agit d’adaptations contemporaines et horrifiques de contes connus que nous avons connus dans notre enfance. La poursuite alléguait que certaines scènes décrites par l’auteur constituaient de la pornographie juvénile.
Le juge Marc-André Blanchard a rendu un verdict d’acquittement. Il critique par le fait même les dispositions relatives au crime reprochés à l’auteur dans le Code criminel. Ces dispositions ont été jugées inconstitutionnelles. Elles sont contraires à la liberté d’expression, un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, le juge a sévèrement critiqué la loi dans son jugement. Il l’estime hasardeuse et imprécise, ayant le potentiel de permettre de porter des accusations criminelles contre presque n’importe qui. Plus spécifiquement, il vise les modifications apportées aux dispositions de la loi en 2005. Celles-ci retiraient l’exception de « valeur artistique » aux infractions relatives à la pornographie juvénile. Ces modifications s’attaquent directement aux œuvres littéraires, d’indiquer le magistrat dans son jugement.
Liberté d’expression et œuvre de fiction
De très nombreux romans de tout aussi nombreux auteurs comportent des scènes de ce genre dans la littérature, et pas seulement au Québec. Qu’on pense aux œuvres d’horreur de Stephen King, ou encore aux auteurs Québécois Patrick Senécal et Chrystine Brouillet, dont les livres donnent froid dans le dos. Ils ont tous publié des romans contenant des passages ou étaient décrits des actes similaires à la scène qu’on reproche à Yvan Godbout. Plusieurs auteurs se sont d’ailleurs placés derrière M. Godbout et l’ont soutenu dans son combat en justice, outrés qu’on puisse s’attaquer ainsi à la liberté d’expression d’un auteur de fiction. Cela semble irréaliste, juste à y penser.
De telles scènes font partie de la littérature depuis la nuit des temps. Citons notamment le Marquis de Sade, dont une très importante partie de l’œuvre étant consacrée à l’érotisme et à la pornographie, associés à des actes de violence et de cruauté, incluant l’inceste et la pédophilie. Ses livres sont toujours lus et vendus de nos jours, plus de 200 ans plus tard. Il nous a même laissé en héritage le terme « sadisme » qui figure au dictionnaire depuis 1834. (Source : Wikipedia)
Possession de pornographie juvénile
Dans la logique présentée par la poursuite, toute personne possédant un exemplaire du roman d’Yvan Godbout se trouve à être en possession de pornographie juvénile. Elles sont donc susceptibles d’être accusées et arrêtées. Ce serait la même chose pour les romans de Patrick Senécal ou de dizaines d’autres auteurs d’horreur. C’est complètement impensable. Ce sont des livres qu’on peut consulter dans une bibliothèque ou acheter dans une librairie. Manifestement, les dispositions de la loi sont beaucoup trop imprécises.
Liberté d’expression et dénonciation
La liberté d’expression, elle sert justement à dénoncer des crimes comme l’inceste et la pédophilie. C’est ce que Monsieur Godbout a fait valoir depuis le début des accusations. L’écriture d’une telle scène avait pour but de dénoncer les sévices faits à certains enfants. Jamais il n’a eu l’intention criminelle requise pour les infractions qui lui étaient reprochées. Bien que notre système de justice soit basé sur la présomption d’innocence, M. Godbout a clamé la sienne depuis le début mais a vécu un véritable cauchemar.
Jugés sur la place publique
Yvan Godbout a été jugé dans la sphère publique et il est passé pour un pédophile aux yeux de plusieurs. Ruiné financièrement et terrifié à l’idée de se retrouver en prison, l’homme peut néanmoins se féliciter d’avoir fait progresser le droit sur cette question. Lui et son éditeur, qui faisait l’objet des mêmes poursuites, ont grandement aidé leurs comparses dans la poursuite de leur droit à la liberté d’expression. C’est également toute la population qui s’en trouve bénéficiaire, puisque la liberté d’expression est au cœur de nos libertés individuelles.
Mais à quel prix? M. Godbout est un homme brisé. Soulagé par son verdict, il a néanmoins traversé une épreuve pendant ces 18 mois qui laissera des marques pour toujours. Il a été comparé au personnage de son livre et perçu comme un pédophile, ce qui le blesse encore profondément. Son éditeur a perdu son entreprise, des gens ont perdu leur emploi. Au point que des proches ont souhaité s’enlever la vie, tout comme M. Godbout. Les deux hommes ont livré une entrevue bouleversante lors de l’émission Tout le monde en parle du 4 octobre dernier.
Une arrestation digne d’un film
Le juge Blanchard a également dénoncé, dans son jugement, le fait que les policiers aient pris des moyens « surprenants » pour arrêter l’auteur. Ceux-ci s’étaient rendus chez lui à 6h00 du matin pour procéder à son arrestation, alors qu’il dormait encore nu dans son lit. M. Godbout croyait vivre un cauchemar. On peut se questionner sur la pertinence de déployer autant d’effectifs pour procéder à l’arrestation d’un auteur de fiction. Il ne s’agissait pas ici d’un criminel notoire ni d’un homme qui mettait la vie de qui que ce soit en danger.
Un soulagement mitigé pour l’auteur
Yvan Godbout a donc été acquitté et tentera de reprendre une vie normale autant que faire se peut. Le DPCP analysera certainement le jugement du juge Blanchard en profondeur. La procureur aura ainsi 30 jours pour porter le jugement en appel. Il va sans dire que M. Godbout et son éditeur attendent avec beaucoup d’impatience cette date limite. Ce sera difficile d’avoir le cœur léger tant que le délai ne sera pas expiré. Ceci dit, pour porter le jugement en appel, encore faut-il que la poursuite ait les motifs requis. C’est entre autre pour cette raison qu’il est important d’être bien défendu, et ce dès le début du processus judiciaire. On peut ainsi potentiellement éviter un appel et la continuité du processus après le verdict d’acquittement au procès.
Votre liberté d’expression est menacée?
Que fait-on lorsque l’on est injustement accusé, comme dans le cas de monsieur Godbout ? Nous vous recommandons toujours de consulter un avocat spécialisé en droit criminel. C’est la meilleure chose à faire pour être bien informé de vos droits. Chez Couture Avocats, nous sommes là pour vous accompagner tout au long du processus judiciaire. Nous avons les outils pour vous défendre. Forts de plus de 16 ans d’expérience en la matière, nous saurons vous écouter et comprendre quels sont les enjeux qui sont primordiaux pour vous.
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