Par : Me Julie Couture | Publié le : 23 décembre 2020
Deux acquittements controversés en matière d’agression sexuelle
Deux décisions hautement attendues en matière d’agression sexuelle ont été rendues très récemment. Le 15 décembre, Gilbert Rozon a été acquitté de l’accusation d’agression sexuelle portée contre lui. Un dossier qui fût fortement médiatisé. La décision rendue par la juge Hébert a remis de l’huile sur le feu et ravivé les discussions concernant le mouvement « Me Too » et toutes les dénonciations qui ont suivi.
Trois jours plus tard, c’est au tour d’Éric Salvail d’être acquitté sur toute la ligne, bénéficiant du doute raisonnable. Pour les victimes d’agression sexuelle, cela fait beaucoup à digérer en peu de temps. On en vient à se questionner. Notre société encourage les victimes à dénoncer. Par conséquent, elle les pousse à s’imposer le très lourd fardeau du processus judiciaire. En voyant où cela a mené les plaignants et plaignantes de messieurs Rozon et Salvail, c’est à se demander si cela en vaut la peine.
Le fardeau de la preuve
Les victimes dénoncent le fonctionnement du système, qui privilégierait l’accusé selon elles. La population pose cette question qui est légitime : le fardeau de la preuve est-il trop élevé pour la victime?
En matière criminelle, le fardeau de la preuve est élevé. On parle ici de devoir fournir une preuve hors de tout doute raisonnable. Que veut-on dire par là? Cela veut dire qu’on pourrait la qualifier de quasi-certitude. C’est bien au-delà de la prépondérance des probabilités qui est exigée notamment en matière civile.
La présomption d’innocence de l’accusé d’agression sexuelle
Si le fardeau de la preuve peut sembler important, c’est au nom des principes de justice fondamentale et de la présomption d’innocence qu’il est justifié. Au Canada, on ne condamne pas un innocent pour des crimes qu’il n’a pas commis. C’est un principe constitutionnel de base que l’on ne peut ignorer.
Cela dit, les victimes se sente bien souvent malmenées par un processus judiciaire lourd. Elles voient le fardeau de la preuve comme insurmontable. Elles savent que leur vie sera inspectée à la loupe par l’avocat de la défense. Leur crédibilité sera mise en doute, qu’elles aient ou non quelque chose à se reprocher. Plusieurs font donc le choix de ne pas porter plainte pour ne pas avoir à traverser cette épreuve.
Des procès sur la place publique en réaction
C’est cette situation qui est dénoncée par plusieurs. En réaction, elle a amené plusieurs victimes à se faire justice elles-mêmes en dénonçant publiquement leur agresseur sur les médias sociaux. Ces victimes étaient sous l’impression que notre système de justice ne pouvait plus rien pour elle. Par contre, les personnes accusées ont le droit de se défendre. Elles ont droit à un procès juste et équitable, comme tout le monde. Or, sur la place publique, au Tribunal populaire, elles ont rarement l’occasion de le faire. Au contraire, elles sont jugées très sévèrement sans pouvoir donner leur version des faits.
Qu’on soit accusé de vol, fraude, conduite avec facultés affaiblie ou agression sexuelle, le fardeau est le même. La preuve doit être faite hors de tout doute raisonnable. Dans un désir de faire avancer les droits des victimes, un comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agression sexuelle a proposé la création d’un tribunal spécialisé. C’est une idée à explorer.
La différence entre l’agression sexuelle et les autres crimes
Le problème avec les crimes sexuels, c’est qu’ils se passent bien souvent dans l’intimité. Quand il n’y a pas de témoin, on se retrouve avec deux versions contradictoires qui s’affrontent. Personne n’était présent pour affirmer quelle version est véridique. Dans un cas comme celui de M. Rozon, la parole de la victime était suffisante pour justifier une condamnation. Cela dit, la version de l’accusé se tenait aussi et n’a pas été mise en doute. Un doute raisonnable subsiste donc quand à ce qui s’est réellement passé. Dans le doute, le juge doit acquitter la victime. L’histoire de la victime de M. Rozon n’a rien d’unique, et c’est ce qui décourage de nombreuses victimes à porter plainte.
Ce qu’un Tribunal spécialisé pour agression sexuelle changerait
Si un Tribunal spécialisé pour les agressions sexuelles voyait le jour, cela ne rendrait pas plus facile la condamnation des accusés pour autant. Le fardeau de la preuve demeurera toujours. En effet, on doit respecter les droits fondamentaux de chaque être humain, accusé comme victime. Cependant, peut-être cela permettrait-il aux victimes d’être mieux accompagnées à travers de cette épreuve. Cela leur donnerait l’opportunité, entre autres, d’être mieux préparées au processus judiciaire, ce qui serait fort souhaitable. Le comité recommande aussi l’établissement d’une banque d’avocats spécialisés en violence conjugale et en agression sexuelle.
Est-ce qu’un accompagnement accru et des avocats spécialisés suffiraient à convaincre davantage de victimes de porter plainte? Nous ne le saurons que si ce projet voit le jour. Il s’agit peut-être en effet de la solution.
La part des choses et l’équilibre
Cela dit, la présomption d’innocence et la preuve hors de tout doute raisonnable sont là pour rester, c’est sans équivoque. Il faudra trouver un équilibre entre l’aide que nous voulons apporter aux victimes qui ont le courage de dénoncer leur agresseur et le droit de toute personne d’être présumé innocente et d’être défendue. Bien entendu, l’odieux des crimes sexuels rend ce sujet particulièrement sensible. Néanmoins, ces principes de base ne peuvent être négligés.
Accepteriez-vous de vivre dans une société où vous pourriez être jugé coupable d’un crime sans avoir l’opportunité de vous défendre? Bien sûr que non. C’est un principe essentiel à une société libre et démocratique. Il faudra faire la part des choses pour obtenir un système de justice équitable, pour les victimes comme pour les accusés.
En attendant la création d’un tel Tribunal, s’il doit voir le jour, il y a toujours les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) qui sont présents dans toutes les régions du Québec et qui sont là pour fournir de l’aide aux victimes.
Si vous êtes accusé d’agression sexuelle, n’oubliez pas que vous avez le droit au silence et le droit de recourir aux services d’un avocat. Contactez nous sans tarder.