Par : Me Julie Couture | Publié le : 20 mars 2021
La page Facebook à l’origine de la liste
Vous avez sûrement entendu parler de cette fameuse page Facebook « Dis son nom ». Si ça ne vous dit rien, laissez-nous vous éclairer. Cette page publique sur le réseau social Facebook avait comme objectif de soutenir les personnes victimes d’abus sexuels avec un message d’encouragement : « On vous croit ». Ensuite, on invitait les victimes à dénoncer leur agresseur en ligne.
Les victimes pouvaient ainsi dénoncer leur agresseur tout en demandant protégées par l’anonymat. Le processus était d’expliquer les circonstances des événements, ce qu’elles avaient subi et de dénoncer l’agresseur en disant son nom. Le tout était ensuite publié sur Facebook par la page en question, de manière publique et diffusé à une large audience. Les agresseurs étaient classés par niveau de dangerosité, basé sur les crimes dont on les accusait.
Un processus qui laisse peu de place à la justice
La page avait vu le jour en juillet 2020, dans la foulée d’une vague de dénonciations publiques sur internet. La fondatrice de cette page est maintenant visée par une poursuite judiciaire. Pourquoi?
Parce que toutes les histoires étaient publiées sans que l’on ne remette en cause la version des victimes. Notre système de justice ne fonctionne pas ainsi. On ne peut pas conclure à la commission un crime et le rendre public uniquement sur une dénonciation, anonyme de surcroît. Les publications de la page Facebook étant anonymes, des gens voyaient leur nom apparaître sur cette liste dite « des agresseurs » sans savoir qui leur reprochait ces faits. On imagine facilement l’état de panique dans lequel on peut se retrouver face à une telle publication.
En droit criminel, l’accusé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Il a droit de connaître toute la preuve qui pèse contre lui ainsi que l’identité de la personne qui l’accuse. Cette liste, de par sa nature même, va à l’encontre de ces principes de base de notre système de justice. Personne ne peut se substituer à la justice et déterminer quelle version correspond à la réalité des faits. Croire la victime sans poser de questions et condamner l’accusé en rendant son nom public sans que celui-ci n’ait pu se défendre d’une quelconque manière va à l’encontre de ses droits.
Les répercussions concrètes de telles dénonciations
Plusieurs individus se sont ainsi vus nommés, sans savoir pourquoi et sans pouvoir se défendre. Plusieurs ont décrié cette attaque à leur nom et leur réputation. Puis on a beaucoup entendu parler de poursuite en diffamation. Il va sans dire qu’un gros stress a pu découler de ces publications pour plusieurs individus qui ont vu des conséquences sur leur vie professionnelle et de famille. Bien que le fait qu’un nom se trouve sur cette liste ne signifie pas que cet individu soit accusé au criminel, il devient, dans l’œil de nombreuses personnes, étiqueté comme un agresseur.
Poursuite en diffamation contre « Dis son nom »
C’est M. Jean-François Marquis qui poursuit les deux administratrices de la page « Dis son nom ». Il demande 50 000 $ en dommages moraux et punitifs, à cause de l’apparition de son propre nom sur la fameuse liste. Il maintient qu’il n’a rien à se reprocher.
M. Marquis ne connaît pas l’identité de la ou des personnes qui l’ont dénoncé, et ne sait pas ce qu’on lui reproche. Il allègue aujourd’hui qu’on a ainsi attaqué sa réputation. Il demande à ce que soit révélée l’identité des administratrices de la page Facebook. L’une d’elles a déjà parlé publiquement, mais l’autre désirait conserver l’anonymat. Les administratrices avaient assuré aux victimes qui dénonçaient via leur page qu’ils pourraient conserver l’anonymat. Or, M. Marquis insiste pour connaître l’identité de la personne qui l’accuse. Comment pourrait-il se défendre, sinon ?
Une décision en défaveur de « Dis son nom »
La Cour supérieure a tranché en faveur de Mr. Marquis. Ainsi, les administratrices de la page ne pourront conserver leur anonymat. Elles devront également révéler le nom de la ou des personnes qui ont dénoncé M. Marquis. Elles ne peuvent donc pas respecter leur engagement aux victimes de protéger leur anonymat, car celui-ci allait à l’encontre de la justice. Finalement, elles devront révéler la teneur des échanges entre la ou les victime(s) et les administratrices de la page. Ne pas fournir ces informations à M. Marquis serait l’équivalent de le priver du droit de répondre à la défense.
« On ne peut pas dénoncer sur les réseaux sociaux et se cacher derrière l’anonymat. La présomption d’innocence est bafouée quand on ne peut pas répondre, quand on ne sait pas qui est l’accusateur. »
Me Pierre-Hugues Miller, l’avocat de Jean-François Marquis.
La Cour a donc jugé que M. Marquis était en droit d’avoir accès à ces informations, afin de pouvoir répondre aux accusations portées contre lui et d’être en mesure de répondre à la preuve des administratrices. De leur côté, celles-ci ont l’intention de démontrer la véracité des allégations portées contre M. Marquis.
L’importance de la présomption d’innocence
Il est important de savoir qu’en droit criminel canadien, un accusé bénéficie toujours de la présomption d’innocence. C’est un principe fondamental. Nous avons également le droit de savoir ce qui nous est exactement reproché. C’est pour cette raison que la poursuite a une obligation de divulguer l’entièreté de la preuve qu’elle possède relativement aux accusations portées contre une personne.
Si votre nom s’est retrouvé sur cette liste ou si vous avez besoin de conseils juridiques sur la suite des choses, consultez un avocat. C’est toujours la meilleure chose à faire. Lors d’un premier rendez-vous, nous pourrons prendre connaissance avec vous de la situation qui est la vôtre et voir les avenues possibles pour vous. Que des accusations criminelles soient déposées ou non, consulter un avocat spécialisé en droit criminel est toujours une bonne façon de s’outiller et de faire face à une tempête. Le milieu judiciaire est bien souvent un milieu inconnu et hostile. Nous avons l’expérience pour vous accompagner à travers ce processus et vous aider à en sortir la tête haute.