Le 8 juillet 2016, la Cour Suprême du Canada a rendu un jugement qui est une petite révolution pour le droit criminel.
Désormais, à partir du moment où des accusations seront portées, les accusés auront droit au respect de certains délais.
Depuis très longtemps, la lenteur du système judiciaire est critiquée par les citoyens et les médias.
Les délais sont dénoncés de toutes parts, car ils causent des préjudices tant aux victimes d’actes criminels qu’aux accusés, qui sont coincés dans l’engrenage du système judiciaire trop longtemps, empêchés de pouvoir tourner la page sur un mauvais épisode de leur vie.
Le 8 juillet dernier, la cour Suprême a répondu à cette situation en rendant le jugement R c. Jordan.
L’histoire de cet homme a commencé en Colombie Britannique, il y a plus de huit ans. Monsieur Jordan, inculpé en 2008 pour avoir participé à une opération de vente de drogue, a vu son procès arrivé à terme en février 2013, soit 5 ans plus tard.
En raison des délais incontestablement longs, monsieur Jordan avait présenté une requête pour obtenir l’arrêt des procédures, requête qui a toutefois été rejetée par la cour de première instance et ensuite par la cour d’appel.
Les délais en vigueur avant le 8 juillet 2016
Il faut savoir que l’article 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que
« tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable».
Les délais dont il est question ici sont ceux que les acteurs du monde juridique se doivent de respecter à partir du moment où des accusations sont portées, et ce, jusqu’à la fin du procès.
Or, jusqu’à ce jour, les délais à respecter avaient été établis par l’arrêt R c. Morin.
Le problème est, qu’en fait, aucun délai n’était effectivement spécifié. Le cadre d’analyse était fastidieux et complexe, ce qui menait à beaucoup d’interprétations et d’excès puisqu’aucun plafond n‘était réellement fixé.
Les délais depuis la récente décision de la cour suprême du Canada
La décision rendue le 8 juillet 2016 par la cour Suprême du Canada révolutionne le droit criminel, car les juges ont maintenant fixé des délais maximums.
Ainsi, dans le cas d’un procès devant la cour du Québec, soit environ 90% des procès, le délai pour l’ensemble des procédures est de 18 mois.
En ce qui concerne les procès devant jury, qui ont lieu à la cour Supérieure, le délai est désormais de 30 mois. Le calcul de ces délais débute dès le dépôt des accusations et se termine à la conclusion du procès.
Ainsi, grâce à ce nouveau cadre d’analyse, il ne devrait pas y avoir de procès qui dure plus de 3 ans.
L’exception à la règle
Il est certain que toute bonne règle comporte des exceptions et dans le cas présent il y en a.
De ce fait, il y a deux sortes d’exceptions, soient les évènements distincts et les affaires particulièrement complexes, qui pourraient tous deux faire en sorte que le procès se prolonge au delà du plafond établi.
Dans le cas des évènements distincts, il peut s’agir d’une maladie ou d’un imprévu au procès.
Le délai qui est attribuable à l’évènement est alors soustrait au temps total du procès.
Donc, si par exemple l’accusé est malade, le temps pendant lequel il n’est pas disponible sera soustrait au temps total du procès.
En ce qui concerne les affaires complexes, il s’agit normalement de cas où la preuve est volumineuse ou encore qu’il y a plusieurs témoins. Le délai sera alors normalement jugé comme étant raisonnable en raison de cette particularité.
L’impact pour les accusés québécois
Au Québec, le temps d’attente pour un procès est très élevé.
Ainsi, la récente décision permettra probablement de réduire cette attente, car il y a désormais un plafond maximum à respecter.
De plus, cela s’avère être dissuasif pour la poursuite de multiplier les délais, car elle risque d’être obligée d’abandonner les poursuites si elles ne sont pas traitées conformément au plafond établi.
Il faut toutefois prendre en considération que les longues échéances causées par les avocats de la défense ne peuvent pas aboutir par la fin des poursuites.
En effet, ce temps est soustrait au temps total de la durée du procès lorsqu’il est question de l’évaluation des délais.
Un autre point positif est que le préjudice n’est plus pris en compte lors de l’évaluation de la raisonnabilité des délais.
Ainsi, que ces derniers aient causés ou non un préjudice à l’accusé, cela ne peut justifier de dépasser le plafond maximum de 18 ou 30 mois.
Comme mentionné précédemment, seules des circonstances exceptionnelles auxquelles la poursuite ne peut remédier constituent une excuse suffisante.
En somme, il s’agit d’une bonne nouvelle, car, dorénavant, les Québécois auront une garantie que leurs droits seront mieux encadrés et plus respectés qu’auparavant.
Le point de vue de la minorité
Il est très rare qu’un arrêt de la cour Suprême du Canada soit rendu à l’unanimité et celui-ci ne fait pas exception.
Quatre juges sur neuf ont rendu un jugement minoritaire dans lequel ils ont exposé certaines réticences face à l’opinion de leurs confrères.
En effet, ils ont notamment dénoncé la difficulté d’application de ces nouveaux plafonds ainsi qu’une crainte vis-à-vis l’abandon de plusieurs poursuites, faute de temps.
Que ces craintes soient fondées ou non, le système de justice devra se conformer dans les plus brefs délais afin de satisfaire à ces nouvelles exigences.
Que se passe-t-il avec les cas en cours?
Pour les cas dans lesquels les poursuites avaient déjà été enclenchées, des mesures transitoires exceptionnelles vont s’appliquer.
En effet, les parties devront s’asseoir ensemble et vérifier si jusqu’à ce jour les procédures respectent l’ancien cadre d’analyse.
Il est certain qu’elles ne peuvent pas être jugées par rapport à des normes qu’elles ne connaissaient pas avant le 8 juillet 2016. Ainsi, le nouveau plafond plus strict s’applique pour les cas où les poursuites lancées après le 8 juillet 2016.
Le cas particulier de monsieur Jordan
Toutefois, cela ne signifie pas que l’ancien cadre sera appliqué avec autant de souplesse.
En effet, le cas de monsieur Jordan est un très bon exemple, car il a finalement été acquitté de toutes les accusations qui pesaient contre lui.
Son procès ayant duré 49 mois, dont 44 mois qui n’étaient pas attribuables à la défense, il y a donc eu un excès de 17 mois par rapport au processus normal exigé, ce qui est tout à fait déraisonnable.
Malgré que des mesures transitoires auraient dû s’appliquer, ici, les juges ont décidé que même selon l’ancien cadre d’analyse, la situation était déraisonnable, et ils y ont mis fin.
La nouvelle réalité juridique
En résumé, il faut s’attendre à ce que le nouveau plafond de délais soit mis en application très rapidement et, d’ici 18 mois, il y aura probablement quelques cas qui passeront devant les tribunaux relativement à des questions de délais.
Une période d’ajustement sera certainement nécessaire pour la couronne qui devra réévaluer son mode de fonctionnement.
Pour les criminalistes du Québec et de notre cabinet, cela signifie une surveillance étroite des délais et une bonne nouvelle pour nos clients qui pourront mettre les accusations derrière eux le plus rapidement possible.