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Guy Turcotte : tout ce qu’il faut savoir sur l’appel

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C’est lundi prochain, soit le 30 septembre, que la cause de Guy Turcotte sera entendue par la Cour d’appel du Québec, à Montréal. La couronne tentera alors de convaincre 3 juges qu’un nouveau procès devrait être ordonné. Voici un résumé (plutôt long) des questions complexes qui devront prochainement être tranchées par le plus haut tribunal du Québec. Pourquoi ne pas prendre quelques minutes pour bien comprendre la suite du dossier Turcotte!

L’histoire a choqué le Québec, en février 2009, alors qu’un cardiologue assassinait froidement ses deux enfants : Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Mais ce drame a totalement bouleversé le Québec en juillet 2011 lorsque le jury chargé de juger du sort de Turcotte l’a déclaré non-criminellement responsable en raison de troubles mentaux. Même si ce jugement ne peut être considéré comme un acquittement, il faisait tout de même en sorte que l’accusé évitait une peine de prison.
C’est plutôt un séjour à l’institut Pinel qui attendait Turcotte. Après plusieurs évaluations psychiatriques, la Commission d’examen des troubles mentaux l’a ensuite libéré sous condition, vers la fin de l’année 2012, engendrant encore une fois la consternation du public.
Le dossier Turcotte est toutefois loin d’être terminé.
Le 30 septembre 2013, la couronne soumettra à la Cour d’appel les 3 questions suivantes, telles que rédigées dans le mémoire de la couronne :

  1.  Le juge du procès a-t-il erré en droit en donnant ouverture au verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental?
  2. Dans ses directives au jury, le juge du procès a-t-il insuffisamment et inadéquatement instruit le jury sur la notion de «trouble mental» au sens de l’article 16 du Code criminel
  3. Dans ses directives au jury, le juge du procès a-t-il manqué à son devoir de passer en revue les parties essentielles de la preuve, et de faire le lien entre les éléments de preuve pertinents à la défense de troubles mentaux et le droit applicable en matière de non-responsabilité criminelle?

Si la Cour d’appel répond « oui » à n’importe laquelle de ces questions, même si ce n’est qu’à une seule, un nouveau procès pourrait être ordonné
Le premier motif invoqué par la poursuite est son motif principal, probablement celui sur lequel elle mise le plus afin de casser la décision du jury de juillet 2011.


En résumé, la couronne affirme que la défense de non-responsabilité criminelle n’aurait pas due être soumise au jury. En effet, dans un procès devant jury, les jurés ne peuvent pas rendre n’importe quelle décision qui leur semble bonne. C’est le juge du procès, donc un juge de la Cour supérieure, qui décide des possibilités qui s’offrent au jury. En d’autres mots, le juge décide du « choix de réponses » dans lequel le jury peut piger un verdict, et le jury a ensuite la lourde tâche de prendre une décision, mais uniquement parmi ces choix.
Dans Turcotte, le verdict de non-responsabilité criminelle se trouvait dans le « choix de réponses » du jury. La couronne allègue donc que ce verdict n’aurait pas dû faire partie des choix.

« En le laissant entre les mains du jury, le juge du procès a commis une erreur fatale rendant nécessaire la tenue d’un nouveau procès. »

-Tiré du Mémoire de la couronne

Pourquoi? Parce que c’est le rôle du juge du procès de faire un tri parmi tous les verdicts possibles afin que seulement ceux qui ont un caractère « vraisemblable » puissent être soumis au jury. Par exemple, si un accusé se défendait en disant qu’il ne pouvait pas avoir commis un crime à une date précise car il était alors enlevé par des extraterrestres, le juge pourrait décider que cette défense ne serait même pas entendue par le jury, car non « vraisemblable ». Le but ultime de ce principe est de laisser le jury prendre la décision finale tout en s’assurant qu’il ne se fait pas embarquer dans une défense illogique ou illégale.

Consommation de lave-vitre

La couronne plaidera donc que la défense de non-responsabilité n’aurait pas dû être soumise au jury car le trouble mental a été provoqué en partie, mais de façon importante, par l’intoxication volontaire de l’accusé, soit sa consommation de lave-vitre.
Donc, selon la couronne, puisque Guy  Turcotte a lui-même décidé de boire du lave-vitre et que cette consommation a contribué à son état mental « troublé », il n’avait pas le droit d’invoquer la défense de troubles mentaux.

Des directives du jury considérées inadéquates

L’invraisemblance de la défense de non-responsabilité n’est pas le seul argument qui sera plaidé par la poursuite. Elle demandera aussi à la Cour d’appel de se pencher sur les directives du juge au jury.
En effet, lors d’un procès devant jury, le juge de la Cour supérieure doit faire un exposé au jury à la toute fin du procès, tout juste avant que les jurés commencent leur délibération. Cet exposé est donc très important, car le juge explique une dernière fois au jury en quoi consiste exactement leur tâche et ce qu’ils doivent prendre en considération ou non pour rendre leur décision.
En appel, c’est souvent ces directives qui sont attaquées par la partie qui a perdu le procès (l’accusé ou la couronne), car il est difficile d’attaquer directement la décision du jury étant donné que les délibérations sont secrètes et que les jurés n’ont pas a expliquer leur décision, contrairement à un juge.
Ainsi, ces directives qui sont attaquées par la couronne dans l’affaire Turcotte, car selon elle, le juge aurait dû expliquer beaucoup mieux au jury la notion de « trouble mental » et aurait dû résumer davantage au jury les témoignages des experts. Des témoignages très longs et complexes, mais excessivement importants dans ce procès.
La couronne affirme donc que même si la Cour d’appel rejetait son premier argument, le jury a quand même fait une erreur en choisissant ce verdict et que cette erreur a été causée par de mauvaises explications du juge à la fin du procès.

La réplique de la défense

Lorsque la couronne aura fait entendre ses arguments, la défense aura bien sûr le droit de répliquer à chacun de ceux-ci. Me Pierre Poupart, avocat de Guy Turcotte, sera présent à la Cour d’appel pour répliquer à la poursuite, mais son client n’étant pas obligé d’assisté aux débats en appel, ce dernier risque de briller par son absence.
Considérant tous les journalistes et les curieux qui seront présents à cette audience, il serait étonnant d’apercevoir Guy Turcotte dans la salle, bien que rien ne soit impossible.

Les arguments de la couronne attaqués

Tout d’abord, la défense plaidera le 30 septembre que la couronne ne peut pas invoquer en appel un argument qu’elle a choisi de ne pas invoquer lors du procès initial.
Alors qu’en appel, la couronne affirme que les crimes ont été causés en grande partie par l’intoxication au lave-vitre, au procès, elle tentait de démontrer que l’intoxication de Turcotte était minime.

  • En effet, son but était que le jury puisse en venir à la conclusion que Turcotte n’était pas intoxiqué au point de ne pas pouvoir préméditer les meurtres. Sans la préméditation, Turcotte aurait en effet bénéficier d’une peine moins sévère.
  • De plus, la défense allègue que la couronne n’a pas contesté le caractère de vraisemblance de la défense de non-responsabilité en première instance et qu’elle ne peut pas changer de stratégie en appel en la contestant soudainement.
  • La défense répondra ensuite à la couronne qu’une « intoxication au moment des faits n’empêche nullement un accusé d’établir qu’il souffrait d’un trouble mental au sens de l’article 16 du Code criminel » (tiré du mémoire de la défense).

Ainsi, le fait que l’intoxication au lave-vitre ait contribué à l’état mental de l’accusé ne l’empêche pas de pouvoir être déclaré non-criminellement responsable si le jury décide que ses troubles mentaux l’ont poussé à faire les gestes reprochés, intoxication ou non.
Aussi, l’intoxication de lave-vitre elle-même n’est pas volontaire, selon la défense, car Turcotte était alors plongé dans une crise suicidaire aiguë où son seul but était de mourir, n’ayant plus de libre arbitre et la maîtrise de son corps.
La défense plaidera que les directives données par le juge étaient tout à fait correctes et que son résumé de la preuve au jury a été fait de « manière adéquate et qu’elles ont fait les liens nécessaires entre les éléments de preuve pertinents et le droit applicable en matière de non-responsabilité criminelle, de telle sorte que le jury a bien compris les questions factuelles à trancher et les éléments de preuve qu’il devait prendre en considération » (tiré du mémoire de la défense).
Ensuite, la défense allègue que le juge a bien fait de ne pas résumer les témoignages d’experts, préférant laisser au jury le soin de les réexaminer à leur façon et de les interpréter eux-mêmes. Un résumé du juge de ces témoignages longs et complexes aurait été risqué, et le juge a quand même pris la peine de bien expliquer les différents désaccords entre les experts. Le juge a même mis en garde les jurés que ceux-ci n’étaient pas liés par les suggestions du juge ou des avocats de s’attarder davantage sur telle ou telle preuve, mais qu’ils devraient plutôt les considérer dans leur ensemble.
Finalement, la défense argumentera à l’effet que la couronne ne s’est pas objectée aux directives du juge au moment du procès, ce qui affaiblit ses arguments en appel, et qu’elle n’a pas démontré que même si les directives avaient été différentes, le verdict n’aurait pas été le même.

Guy Turcotte demande donc que l’appel soit rejeté.


Un verdict très attendu

L’appel dans l’affaire Turcotte sera bientôt dans tous les journaux et sur tous les téléviseurs. Cette histoire continue d’attiser les passions, peu importe l’opinion.
De plus, n’oublions pas que peu importe l’issue de l’appel, le dossier a de bonnes chances de se rendre jusque devant la Cour suprême du Canada.
Mais pour bien se positionner dans cette histoire, comprenons bien les enjeux.
Comme dans tout procès, la Cour d’appel devra se poser des questions strictement légales et devra faire abstraction de la grogne populaire à l’endroit de l’accusé. La question « est-ce que les québécois préféreraient que Guy Turcotte soit emprisonné? » sera donc totalement ignorée par la Cour d’appel.
Contrairement aux politiciens, le rôle des juges n’est pas de faire plaisir à la population ou de s’attirer la sympathie de ceux-ci. Ils doivent appliquer la loi, tout simplement. Que Guy Turcotte doive subir un nouveau procès ou non suite à l’audition en Cour d’appel, peu importe l’opinion des gens, gardons à l’esprit que la loi se doit d’être appliquée.
Pas d’accord avec le résultat d’un jugement? Ne nous attaquons pas aux juges ou au jury, adressons-nous plutôt aux politiciens qui votent et écrivent nos lois!

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