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Après Pardi et Turcotte : justice bonbon ou progressive?

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pénitentier pour Tony conté

La sentence de Brandon Pardi est tombée. Guy Turcotte a refait surface avec la décision de la Commission des troubles mentaux. Les réactions sont multiples et souvent elles viennent avec des critiques virulentes à l’égard de notre système judiciaire.

Ces réactions laissent planer plusieurs questions… Est-ce que le système fonctionne correctement? Est-il à la hauteur des attentes du public à son endroit?

Rares sont les personnes du public qui osent se manifester à la défense des accusés et du système judiciaire. C’est ce que je m’appliquerai à faire dans les présentes lignes.

Justice et Sentences bonbons?

Les causes criminelles attirent souvent l’attention des médias. Pour un accusé, le fait d’être médiatisé peut entrainer des conséquences dramatiques pour lui et sa famille. Il y a la honte, l’humiliation, la stigmatisation, etc.

Aux yeux du public, certaines sentences obtenues sont bonbons. L’important pour un criminaliste est de s’assurer que la sentence est proportionnelle au crime et respecte les circonstances individuelles de l’accusé.

Par contre, nous nous retrouvons parfois bien seuls devant le tollé d’une minorité qui s’insurge bruyamment contre le système judiciaire. Parfois c’est avec raison, mais trop souvent les critiques proviennent de fragilités émotives qui ne tiennent pas compte de toutes les considérations possibles.

Encore Turcotte…

À titre d’exemple, combien de fois avons-nous entendu une opinion sur Guy Turcotte sans considération pour le moyen de défense valable qu’il a présenté et sur le fait que le jury s’est penché sérieusement sur cette question après un procès respectant les règles de l’art. Pour un avocat criminaliste, c’est aberrant de faire face à cette désinformation quotidiennement.

Encore une fois, les faits de cette affaire sont d’une atrocité indescriptible. Mais un accusé ne peut être reconnu coupable d’une infraction dont il n’est pas en mesure de comprendre la nature de son acte.

Dans l’arrêt de la Cour suprême R. c. Kjeldsen, [1981] 2 R.C.S. 617, l’Honorable juge William Rogers McIntyre énonce le principe selon lequel :

« La question [la] plus importante [est] de savoir si l’appelant était capable de juger la nature et la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils étaient mauvais, question qui concerne l’état mental réel de l’appelant et qui est déterminante quant à sa responsabilité pénale. »

Détermination des peines

Lorsque le juge se prononce sur la peine à imposer, certains des facteurs dont il faut tenir compte dans la détermination des peines sont énoncés au Code criminel. Voici quelques-uns des facteurs à considérer :

  • La dénonciation du comportement illégal
  • La dissuasion des délinquants, et quiconque, de commettre des infractions
  • Isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société
  • Favoriser la réinsertion sociale des délinquants
  • Assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité
  • Susciter la conscience de la responsabilité du délinquant

Il doit également se questionner sur la gravité des gestes afin de rendre une décision éclairée. Voici certains des facteurs aggravants à considérer :

  • L’infraction est-elle motivée par des préjugés ou de la haine?
  • L’infraction constitue-t-elle un mauvais traitement de son époux ou conjoint de fait?
  • L’infraction constitue-t-elle un mauvais traitement d’une personne âgée de moins de 18 ans?
  • Y a-t-il eu abus de confiance ou d’autorité?
  • Est-ce une infraction de terrorisme?

Il existe également le principe de l’harmonisation des peines. Autrement dit, est-ce que la peine qui sera imposée est semblable à celles infligées dans des circonstances similaires?

Comme facteurs atténuants, le juge tiendra compte de divers facteurs de la condition personnelle de l’accusé. Il s’agit d’un processus individualisé. En fait, la question à se poser est simple : quelle est la peine appropriée pour tel individu? Mais l’exercice est périlleux. Qui d’autre peut juger, critiquer le ou les décideurs qui ont entendu toute la preuve de A à Z?

Pour paraphraser les propos de Me Jacques Larochelle lors de sa plaidoirie dans l’affaire pendante de Jacques Delisle : Qui osera lancer la première pierre à celui ou celle qui a rendu sentence après avoir entendu toute la preuve.

Notre système a choisi de se pencher sur chaque situation. Si 1 + 1 = 2, notre système a choisi de ne pas appliquer une équation pour l’imposition d’une peine. L’indignation se fonde trop souvent des bribes ou des résumés qui font l’affaire du grand public.

Peines d’incarcération?

Avant d’imposer une peine d’incarcération, le juge a l’obligation d’envisager une peine moins contraignante eu égard aux circonstances. Notre système carcéral et notre budget collectif ne peuvent certainement pas se permettre de priver de liberté tous les individus qui font face à la justice.

Dans les cas les plus manifestes, les juges n’hésitent pas à rendre des sentences exemplaires. Le système de justice criminel continue de jouer un rôle de dissuasion en rendant des peines sévères. Nous avons trop tendance à les oublier celles-là.

La réhabilitation et réinsertion sociale

Notre système de justice prévoit un encadrement dans le processus de réhabilitation et de réinsertion des délinquants. D’abord, il y a les services de police qui sont bien sûr prêts à intervenir auprès du délinquant s’il ne respecte pas les conditions imposées par la Cour.

De plus, les délinquants ont accès à des ressources auprès des maisons de transitions. Il y aura possibilité de thérapies, obligation de participer à des programmes de réinsertion sociale, etc.

Évolution du droit

Une partie du public et des victimes sont souvent révoltés en portant le blâme sur le manque de sévérité de notre système de justice. Ce dernier est considéré comme le meilleur de tous les systèmes et le moins imparfait.

 Bien sûr, il n’est pas parfait. Mais, il est composé de juristes et de juges qui évoluent dans ce milieu. Ils savent appliquer la loi pour le mieux et ont tous un désir de l’appliquer correctement.

Expérience

Au cours de ma carrière,  j’ai eu de nombreux cas de clients me disant : « Je n’arrête pas d’y penser et je vis un cauchemar depuis les événements. » Également: « Je me suis repris en main et il y a des choses qui se disent qui ne sont pas vraies. » Ou encore « Je ne me rappelle plus. C’est très flou. »

Dans la détresse et l’incompréhension, d’autres me disent : « Le policier s’est trompé ce n’était pas moi. » Parfois, c’est la parole de l’un contre l’autre. J’aurais dû enregistrer. Je ne comprends pas. Ce n’est pas comme cela que ça s’est passé ». D’autres me disent : « Je l’ai fait, mais je veux m’en sortir. Comment puis-je revenir sur le droit chemin? »

La crainte de la prison est également omniprésente: « Que va-t-il arriver à mes enfants? Comment ferai-je pour payer la maison? Et, vais-je me faire battre et en ressortir vivant? »

Régulièrement, je fais face à des gens qui ne connaissaient pas la loi. L’adage « Nul n’est sensé ignorer la loi » est important dans notre système, mais les cas de personnes immigrantes s’étant retrouvées dans une situation difficile sont nombreux. Il faut définitivement en tenir compte et tenter de lutter pour aider ces gens qui vivent une situation difficile.

Comment vivre avec ses erreurs

Certaines personnes peuvent vivre plusieurs années dans l’attente des procédures judiciaires. Ce facteur est en soi une sentence. Le plus dur pour une personne est de ne pas savoir ce qu’il va lui arriver. Ne pas savoir si elle va aller en prison.

Même une personne qui n’a même pas perdu de point d’inaptitude, qui a toujours été un modèle, qui est impliquée dans sa communauté et qui a énormément de regret peut se retrouver face à la justice. Ce genre de contexte peut facilement mener à la dépression, au suicide et à la faillite.

Comment guérir?

On dit que la justice apporte la guérison. Dans un monde idéal, la victime et la famille de la victime devraient se déclarer satisfaites lorsque la peine est imposée. Malheureusement, dans un cas où la victime est décédée, rien ni personne ne pourra la ramener à la vie.

Il est donc utopique de croire que les victimes peuvent obtenir une entière réparation. Même avec la plus punitive des peines, tout le monde ne peut s’en sortir autrement que meurtri. Le choix doit se faire dans l’intérêt collectif!

On pense que cela n’arrive qu’aux autres. Et si vous étiez vous-même accusé à tort? Si vous commettiez une erreur que vous regrettez? De quelle manière voudriez-vous continuer à contribuer à la société? Certainement pas en prison… Et comment réagiriez-vous face à l’insatiable grogne populaire?

La Cour suprême, par l’entremise de l’Honorable juge Antonio Lamer, dans l’arrêt R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 a émis le principe suivant :

« L’emprisonnement avec sursis est généralement plus propice que l’incarcération à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation par ceux‑ci des torts causés aux victimes et à la collectivité et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. »

Dire que les sentences sont bonbons peut paraître vrai à première vue et propage souvent de l’irritation dans le public. Les tribunaux d’appel sont là pour refaire l’exercice d’analyse si erreur il y a eu. L’opinion publique n’est pas un tribunal d’appel.

Avec la collaboration de Mike Boudreau

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0 thoughts on “Après Pardi et Turcotte : justice bonbon ou progressive?

  1. J’ignorais que la justice était si humaine, merci de me rassurer.
    Par contre, vous venez de me confirmer ce que je savais déjà. Pour qu’une justice progressive soit vraiment efficace, elle se doit d’être soutenu par un programme de réinsertion en béton. Ce n’est pas le cas présentement.
    Et on le sait, avec le besoin viscéral de vengeance, que l’humain possède, aucun système ne sera satisfaisant pour lui. Sauf, s’il y doit y faire face.
    Encore merci, je me sens un peu mieux armée pour défendre cette justice… Je l’ai toujours défendu, mais je n’ai pas toujours eu le sentiment que notre système actuel possédait encore de l’humanité…

    1. Nous croyons que le caractère humain prend également son sens dans l’élaboration de ce processus parfois complexe, mais armé du désir de satisfaire les deux parties en tenant compte des enjeux et des règles de droit.