Affaire Turcotte, Crimes graves, Droit criminel

Appel du verdict dans l’affaire Guy Turcotte

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Appel du verdict dans l’affaire Turcotte

L’affaire criminelle Turcotte se prolonge au delà du palais de justice de Saint-Jérôme.   Le Québec n’a pas fini d’en entendre parler et de subir cette douloureuse affaire. En effet, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a choisi d’en appeler du verdict.

Ce n’était pas la décision de Isabelle Gaston, la mère des pauvres victimes. Cette dernière avait été très claire à l’effet qu’elle ne désirait pas que cette difficile épreuve se prolonge. Le public avait un avis différent. Plusieurs n’hésitaient pas à crier à l’injustice.   Sa mère pourtant à l’émission le négociateur avec Claude Poirier laissait planer le contraire.

Peut-être que cette réaction épidermique a joué son rôle dans la décision du DPCP de porter la cause en appel, mais, bien sûr, les motifs invoqués sont autres.

Les motifs d’appel

Nous n’avons pas obtenu copie de l’avis d’appel déposé vendredi dernier par le DPCP. Les motifs d’appel que nous vous rapportons ont été diffusés par les médias. Voici les motifs que le DPCP invoquerait:

Premièrement, le juge Marc David aurait « manqué à son devoir en omettant de faire un exercice incontournable, c’est-à-dire passer en revue les parties essentielles de la preuve de la poursuite montrant que Turcotte agissait de façon cohérente et faire le lien avec les éléments appuyant la défense de troubles mentaux, ainsi que le droit applicable en matière de non-responsabilité criminelle »;

Deuxièmement, le juge David aurait « donné des instructions susceptibles  d’induire le jury à conclure que l’intimé ne pouvait pas être tenu criminellement responsable de ses actes »;

Troisièmement, le juge David aurait au palais de justice de Saint-Jérôme« erré en  demandant au jury de mettre de côté l’opinion du psychiatre expert de la Couronne, le Dr Sylvain Faucher, sur la responsabilité criminelle de Turcotte, sans adresser de mise en garde du genre concernant les deux experts de la défense » ;

Le droit d’appel

 

Le procureur général peut introduire un recours devant la cour d’appel « à l’égard de tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement » (676(1)a) C.cr.). Cet appel est donc limité aux questions de droit strict qui ont une incidence significative sur le verdict.  À défaut, une permission d’appeler est exigée (requête pour permission d’en appeler)

Dans un procès devant juge et jury, une fois que la preuve a été présentée et que les plaidoiries des parties sont terminées, il ne reste qu’une étape à l’instruction. Cette étape est les directives par le juge du procès au jury. En l’espèce, ces directives ont duré un avant-midi complet. Pour un procès de 11 semaines, il est intéressant de constater l’incidence que pourrait avoir cette étape sur tout le processus.

En l’espèce, le DPCP invoque essentiellement que le juge Marc David « a erré en droit sur des points susceptibles d’avoir influencé le jury dans ses conclusions ».

Qu’est-ce qu’une question de droit ?

Comme le procureur général ne peut porter en appel sur des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de faits, la jurisprudence est donc très importante.

Les questions de droit portent uniquement sur la détermination du critère juridique applicable. Pour ce qui est des questions de fait, cela consiste essentiellement sur ce qui s’est réellement passé dans les faits.

Bien sûr, le système de justice veut s’assurer que le droit en vigueur a été valablement appliqué et qu’aucune erreur judiciaire n’a pu se produire. Nous ne voulons pas refaire le procès. On considère que personne ne pouvait mieux statuer sur les faits que le jury, puisqu’il est le seul à avoir entendu valablement tous les faits de cette affaire  (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748).

Les directives au jury et ses principes

Ces directives au jury ont pour « but d’expliquer le droit applicable et d’établir le lien entre ce droit et la preuve de façon que le jury saisisse bien les questions auxquelles il doit répondre pour rendre [le] verdict » approprié (Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495).

Le juge doit pour s’acquitter correctement de cette tâche « adéquatement et convenablement […] présenter clairement et équitablement les prétentions des deux parties, n’omettant dans son exposé, en ce qui concerne la défense, aucun des fondements réels de la défense. Il doit présenter une image juste de la défense » (Kelsey c. The Queen, [1953] 1 R.C.S. 220).

Enfin, il est clair qu’un des rôles essentiels du juge dans sons exposé au jury est de « préserver l’équilibre, si essentiel à la tenue d’un procès équitable, entre la cause de la poursuite et celle de la défense » (A. E. Popple, dir., Canadian Criminal Procedure (Annotations), 1952 (1953), p. 16 cité dans R. c. Daley, (2007) CSC 53).

Entre les mains de la Cour d’appel

 

Plusieurs médias parlent déjà d’un nouveau procès d’ici la fin 2012 ou début 2013. Nous n’en sommes pas là. L’appel sera entendu de plein droit par le plus haut tribunal québécois d’ici quelques mois. Canoë parle de 6 mois avant l’audience de cet appel.

Trois juges se pencheront sur les questions soulevées par le DPCP du palais de justice de Saint-Jérôme. Si la Cour d’appel statue que le juge du procès a erré en droit au point d’avoir influencé le jury dans son verdict, la nullité de ce dernier devra être prononcée et un nouveau procès sera ordonné.

La Cour d’appel pourrait admettre l’appel pour le motif suivant que « le jugement de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit » (686(1)a)(ii) C.cr.). Est-ce que les erreurs invoquées par le DPCP sont suffisantes pour ordonner un nouveau procès ? Telle est la question.  Un aperçu de la plaidoirie de la défense sur notre site.

Dans un cas de défense de non-responsabilité criminelle pour cause troubles mentaux, il est bien évident que la Cour d’appel ne peut simplement substituer son opinion à celle du jury (R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168).

Qui a raison ?

Afin de prétendre que le juge du procès a commis une erreur sur une question de droit du type visée par l’article 686(1)a)(ii) C.cr., cette erreur doit survenir lorsqu’il donnait ses directive et non seulement lorsqu’il résumait la thèse de la poursuite, par exemple (R. c. Jaw, [2009] 3 R.C.S. 26).

Alors qu’est-ce qui pourrait constituer une erreur suffisamment importante afin d’ordonner un nouveau procès ? Pour le premier motif invoqué par le DPCP, il n’est pas nécessaire « que le juge du procès passe en revue tous les faits ni que son exposé au jury relate la preuve produite dans les menus détails » (Azoulay c. The Queen, [1952] 2 R.C.S. 495). Une étude exhaustive de la preuve a même été jugée susceptible « d’embrouiller les jurés relativement à la question fondamentale » (Daley).

Enfin, pour ce qui est de savoir si le juge Marc David a induit le jury à croire au palais de justice de Saint-Jérôme que Guy Turcotte ne pouvait être tenu criminellement responsable, ainsi que l’absence de mise en garde à l’égard de la preuve d’expert de la défense, un élément important est à considérer. L’étape des directives s’inscrit dans le déroulement général du procès. L’examen à savoir si le juge a réellement commis une erreur de droit portera également sur les plaidoiries elles-mêmes. C’est ainsi que la Cour d’appel pourra correctement relever les aspects problématiques des directives (Daley).

À suivre…

On a tous un point de vue relativement à cette cause qui a tant marqué le Québec et la palais de justice du palais de justice de Saint-Jérôme. Les plus prudents d’entre nous émettent surtout des réserves, car on ne peut jamais savoir ce qui se passe intégralement dans la salle de Cour. C’est pourquoi nous croyons qu’il ne faut pas être trop prompt à réagir.

Dans tous les cas, la Cour d’appel aura à conclure si le jury avait une compréhension suffisante des faits relatifs aux questions pertinentes (R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314).

Le pouvoir d’intervention d’une Cour d’appel est limité.  Dans bien des cas, la Cour d’appel conclut comme suit : « J’estime toutefois que cette omission n’était pas suffisamment grave pour affecter les délibérations du jury ainsi que le verdict. »

Voici un résumé du jugement  R. c. Graveline, [2006] 1 R.C.S. 609 tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada.  Nous reprenons leurs propos :

cours d'appel du Quebec

« La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Fish, Abella et Charron : Un appel interjeté par le ministère public aux termes de l’al. 676(1)a) du Codene saurait être accueilli sur une possibilité abstraite ou purement hypothétique selon laquelle l’accusé aurait été déclaré coupable n’eût été l’erreur de droit.  Pour obtenir un nouveau procès, le ministère public doit convaincre la cour d’appel qu’il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l’affaire, que l’erreur du premier juge a eu une incidence significative sur le verdict. »

Texte : Avocat Laval Palais de justice de Saint-Jérôme

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0 thoughts on “Appel du verdict dans l’affaire Guy Turcotte

  1. LEVY LILIANE dit :

    • L’appel est une très bonne décision dans l’affaire Turcotte car justice n’a pas été rendue pour ces deux enfants. Le présent verdict de non culpabilité aura de très graves conséquences dans les cas de violences futurs, au Québec. C’est une épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous les Québécois. Pour invoquer la « folie passagère » avec le succès qu’on lui a connu dans l’affaire Turcotte, les crimes se devront d’être autant sinon plus horribles que celui qu’a commis Guy Turcotte.
    • L’accusation devrait s’adjoindre comme expert le psychiatre canadien Robert Hare, grand spécialiste de la personnalité psychopathique. Voir sur Internet : Le Portrait Robot du Psychopathe. Très instructif dans le cas de ce dossier.
    • La pschopathie n’est pas une maladie mentale ( ni passagère ni permanente), mais une déviance (non rectifiable) du comportement. Et le meurtrier psychopathe ne finit pas ses jours dans un asile mais dans une prison.

  2. Lise Thériault dit :

    « Je sais qu’aujourd’hui, je ne vivrai pas ma vie en ayant le coeur et l’esprit en paix, en sachant que je n’ai rien fait pour dénoncer ce que je crois être une erreur. » – Isabelle Gascon
    http://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2011/07/25/005-isabelle-gaston-guy-turcotte-appel.shtml

  3. Merci pour ce billet très complet.
    Comme bien des gens, je crois que le verdict dans l’affaire Turcotte était le mauvais. Un homme sans aucun passé psychiatrique qui plaide la folie. Aussi bien le faire dans tous les cas de meurtre!
    Mais bon, je ne suis pas avocat et je suis content de pouvoir lire ou écouter l’avis de spécialistes depuis quelques semaines déjà.

  4. Lise Thériault dit :

    « Présente à la manifestation organisée aujourd’hui à Montréal en opposition au verdict rendu par le jury, Mme Gaston a dit souhaiter que le trouble d’adaptation avec anxiété et humeur dépressive, maladie dont souffrait Guy Turcotte au moment des événements, soit exclu de l’article 16 qui porte sur la défense pour troubles mentaux. «Jusqu’à la fin de ma vie, je vais continuer de penser que mes enfants subissent une seconde injustice avec ce verdict-là», a-t-elle confié. »
    http://www.cyberpresse.ca/actualites/dossiers/proces-de-guy-turcotte/201108/06/01-4424009-isabelle-gaston-reclame-une-reforme-du-code-criminel.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B42_acc-manchettes-dimanche_369233_accueil_POS1#Slide-7-box-0

  5. Sam.Kassabli dit :

    Je ne comprends pas cette justice, un voleur a l’étagére va en prison et un tueur de 2 petits enfants innocents va en Asile sous prétexte folie passagère. C’est quoi cette Salade,et le pire personne ne bouge.

  6. Me Stéphanie Roberge dit :

    Thank you for taking the time to read us and comment.