Par : Me Julie Couture | Publié le : 13 décembre 2023
Les responsabilités des aidants naturels dans les soins aux personnes en fin de vie
Le temps des Fêtes est une période difficile pour beaucoup de gens. Actuellement, nous assistons à une vague d’accusations de négligence criminelle ayant causé la mort pour des aidants naturels. Au bord de l’épuisement, surchargés et parfois sans ressources, ils abandonnent leurs responsabilités et la personne en fin de vie dont ils ont la charge décède, faute de soins adéquats. Ils se retrouvent donc devant une accusation criminelle et une possible peine d’emprisonnement. Le manque de ressources pour les aidants naturels contribue à alourdir la situation.
cas d’aidants naturels dans l’actualité récente
On se rappelle le cas de Bruno Turcotte, accusé d’avoir tué sa femme handicapée en omettant de lui fournir les choses nécessaires à la vie pendant la pandémie. Celui-ci a été trouvé coupable de l’homicide involontaire de sa femme en octobre 2023, au Palais de justice de Laval. M. Turcotte s’était retrouvé aidant naturel suite à l’AVC de sa femme qui l’a laissée paralysée. Pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, M. Turcotte et sa femme ont cessé de recevoir de l’aide à domicile, augmentant considérablement le fardeau sur les épaules de l’accusé. Malgré le contexte aggravant, le jury a reconnu l’homme coupable d’homicide involontaire, à cause de l’état déplorable dans lequel il avait laissé la victime, jusqu’à ce qu’elle décède d’un choc septique découlant d’une infection. Malgré que la couronne réclamait 10 ans d’emprisonnement, nous apprenions la semaine dernière que Bruno Turcotte purgera une peine de 18 mois dans la communauté (prison à domicile). Le juge Daniel W. Payette a pris en considération que le crime s’approchait davantage de la négligence que du quasi-meurtre, et que l’accusé avait pris soin adéquatement de la victime pendant 9 ans avant le drame.
Quand la détresse prend le dessus
On peut également penser à Mélanie Dubuc, cette femme de Chicoutimi qui a été déclarée coupable d’homicide involontaire au Palais de justice de Chicoutimi en décembre 2023. Les événements qui lui sont reprochés ont mené à la mort de sa mère, Sylvie Lemay, en 2021. Mme Dubuc a elle aussi agi comme aidante naturelle auprès de la victime pendant de nombreuses années. On ne peut qu’imaginer la détresse qu’elle ressentait, puisque celle-ci a tenté de mettre fin à ses jours en 2021. Les policiers l’ont trouvée gisant aux côtés de sa mère, décédée depuis une semaine. Mélanie Dubuc était en dépression et son état s’est aggravé jusqu’à ce qu’elle ne soit plus en mesure de s’occuper de sa mère et pose un geste fatidique. La position de la poursuite était que l’accusée aurait du conduire la victime à l’hôpital au lieu de la laisser dépérir. Mme Dubuc risque une peine de prison à perpétuité, nous en saurons davantage en juin 2024. Il est cependant possible que celle-ci soit purgée dans la collectivité (prison à domicile) comme dans le cas de Bruno Turcotte.
M. Turcotte et Mme Dubuc ne sont certainement pas les seuls dans une situation similaire, où la perte de contrôle sur les responsabilités trop élevées finissent par être la cause d’un drame humain. C’est pourquoi nous explorons aujourd’hui le sujet, du point de vue du droit criminel.
Entre épuisement, insouciance et négligence ciminelle
La négligence criminelle dans le contexte des soins aux personnes en fin de vie soulève des questions éthiques et légales complexes. Un phénomène troublant émerge, mettant en lumière les défis auxquels sont confrontés les aidants naturels, épuisés par les responsabilités qui accompagnent les soins aux proches en phase terminale. Cet article explore la délicate frontière entre l’impuissance, l’insouciance et la négligence criminelle, tout en examinant comment établir la preuve de cette dernière lorsque le manque de soins devient potentiellement un acte criminel.
I. Le fardeau des aidants naturels :
A. La réalité des soins aux personnes en fin de vie
Les aidants naturels sont souvent plongés dans des responsabilités complexes lorsqu’ils prennent en charge des proches en fin de vie. Les tâches comprennent souvent la gestion de la douleur, la surveillance médicale, la coordination des rendez-vous médicaux et la prestation de soins quotidiens. La pression émotionnelle et physique de cette charge est immense, souvent accompagnée d’un manque de ressources et de soutien. Ceci est particulièrement complexe à gérer en situation de crise comme celles auxquelles on assiste : pandémie mondiale, grève du secteur public, etc.
B. Les défis émotionnels et physiques des aidants naturels
L’épuisement émotionnel peut résulter de la confrontation constante avec la souffrance et la mortalité imminente. Les aidants peuvent se retrouver dépassés par la tristesse, la frustration et l’anxiété. Sur le plan physique, la fatigue constante peut affecter leur capacité à fournir des soins appropriés.
C. Les conséquences de l’épuisement des aidants NATURELS sur la qualité des soins
Lorsque les aidants sont épuisés, la qualité des soins peut être compromise. Des erreurs médicales, des retards dans l’administration des médicaments ou même un manque de surveillance adéquate peuvent survenir. Cette situation soulève la question de savoir si les conséquences de ces erreurs peuvent être considérées comme de la négligence criminelle.
II. La frontière entre l’impuissance, l’insouciance et la négligence criminelle :
A. Définitions juridiques de la négligence criminelle
La négligence criminelle implique généralement un comportement imprudent ou irresponsable qui entraîne des conséquences graves. Il est crucial de déterminer si l’acte résulte d’une négligence délibérée ou simplement de l’impuissance de l’aidant face à des circonstances difficiles.
B. Les éléments qui distinguent l’impuissance de la négligence criminelle
Il est important de faire la distinction entre l’impuissance, qui peut découler de facteurs externes et de la fatigue, et la négligence criminelle, qui implique une défaillance intentionnelle des obligations. Cette distinction peut être subtile, mais elle est cruciale pour établir la responsabilité juridique.
C. Les nuances entre l’insouciance et la négligence criminelle
L’insouciance implique souvent un manque d’attention ou de préoccupation, mais sans l’intention malveillante associée à la négligence criminelle. Établir ces nuances dans le contexte des soins aux personnes en fin de vie peut être complexe et nécessite une évaluation approfondie des circonstances entourant chaque cas.
III. Quand le manque de soins devient un acte criminel :
A. Les critères juridiques pour établir la négligence criminelle
Les tribunaux évaluent généralement la gravité de l’omission, l’existence de devoirs de soins clairs, l’intention de l’aidant et les conséquences directes de son comportement pour déterminer s’il s’agit de négligence criminelle. Établir ces critères dans le contexte des soins en fin de vie nécessite une compréhension approfondie du cadre juridique pertinent.
B. L’importance de l’intention dans la qualification criminelle
La négligence criminelle implique souvent une composante intentionnelle. Démontrer que l’aidant avait conscience du risque et a délibérément ignoré ses responsabilités peut être crucial pour établir la négligence criminelle.
C. Les preuves tangibles et témoignages comme éléments clés
La collecte de preuves, qu’il s’agisse de documents médicaux, de témoignages d’experts ou de déclarations d’autres personnes impliquées dans les soins, devient essentielle pour prouver la négligence criminelle. La reconstitution des événements et la démonstration de la négligence intentionnelle peuvent être des éléments clés pour convaincre un tribunal.
IV. Les obstacles à la poursuite des cas de négligence criminelle :
A. La difficulté à prouver l’intention criminelle
Prouver l’intention criminelle peut être un défi, en particulier lorsque l’aidant est confronté à des circonstances extrêmement stressantes et émotionnellement éprouvantes.
B. Les limites du système juridique face aux enjeux émotionnels complexes
Les aspects émotionnels complexes des soins en fin de vie peuvent rendre difficile l’application rigoureuse de la loi. Les tribunaux doivent équilibrer la responsabilité pénale avec la compréhension des circonstances uniques entourant chaque cas.
Une approche nuancée et une compréhension des ENJEUX
En conclusion, la négligence criminelle dans le contexte des soins aux personnes en fin de vie nécessite une approche nuancée et une compréhension approfondie des défis auxquels sont confrontés les aidants naturels. L’établissement de la preuve et la délimitation de la responsabilité légale exigent une analyse minutieuse des circonstances individuelles pour garantir que la justice soit rendue tout en reconnaissant la complexité émotionnelle de chaque situation. Dans un contexte où les aidants naturels se retrouvent souvent à la croisée de l’épuisement et des exigences des soins aux personnes en fin de vie, la question de la négligence criminelle prend une importance particulière.
Trouver un équilibre entre la compassion envers les aidants et la nécessité de protéger les droits fondamentaux des personnes vulnérables est un défi auquel la société doit faire face. Ce sera particulièrement vrai dans le contexte actuel où la population est vieillissante. En explorant la fine ligne entre l’impuissance, l’insouciance et la négligence criminelle, il devient essentiel de développer des solutions qui reconnaissent la complexité de ces situations tout en assurant la justice pour tous les acteurs impliqués.
Des questions ? Besoin d’un avocat ?
Si vous êtes dans une situation similaire, que vous craignez de ne pas être en mesure de remplir vos responsabilités d’aidant naturel, n’attendez pas qu’un drame se produise. Il existe des organismes dédiés aux aidants naturels, comme la ligne Info-Aidant et Proche aidance Québec. Le gouvernement du Québec offre aussi du soutien financier et différentes ressources.
Vous faites face à une accusation de négligence criminelle ou toute autre accusation ? Mettez toutes les chances de votre côté en contactant notre cabinet. Avec Couture Avocats, vous aurez une représentation gagnante !